ROUTE DE LA SOIE
LA ROUTE DE LA SOIE
La « route de la Soie » est un faisceau d'itinéraires commerciaux transcontinentaux, allant de la Chine aux rives de la Méditerranée, par l'Asie centrale et l'Iran, itinéraires par où furent acheminés, dès avant l'ère chrétienne, productions diverses, techniques et connaissances scientifiques, religions, doctrines, arts mais aussi invasions barbares et conquêtes asservissantes.
L'« ouverture de l'ouest » et le contrôle de la Chine sur l'Asie centrale
Pour les historiens chinois, c'est la Chine qui, en « ouvrant l'ouest », est à l'origine de l'important courant d'échanges qui se mit en place vers 125-120 avant l'ère chrétienne, courant par lequel, pendant de nombreux siècles, la soie, principale production exportée vers l'ouest par la Chine – longtemps seule productrice et exportatrice de cette matière dans le monde – fut acheminée en échange d'autres productions ; cette ouverture fut en fait le résultat d'une démarche stratégique : en 138 avant J.-C., l'empereur Han Wudi envoya en ambassade un officier nommé Zhang Qian vers le royaume des Yuezhi, situé dans le nord de l'Afghanistan actuel, à des mois de cheval à l'ouest par des territoires inconnus ; il s'agissait de conclure une alliance militaire avec ce roi contre un peuple de la steppe, les nomades Xiongnu, lesquels attaquaient continuellement la Chine ; cet épisode célèbre eut pour résultat non l'alliance recherchée, mais la prise de contact du représentant chinois avec plusieurs nations jusque-là inconnues des Chinois. En outre, il recueillit une infinité d'observations sur d'autres pays encore plus éloignés, entre autres : les royaumes Dayuan (la vallée de Fergana, dans le sud de l'Ouzbékistan actuel), Kangju (la Sogdiane, entre l'Amou-Daryia et le Syr-Daria), Daxia (la Bactriane, au sud de l'Amou-Daria), Anxi (le royaume parthe, la Perse), Tiaozhi (sur les cours inférieurs du Tigre et de l'Euphrate), et aussi un royaume nommé Lijian, situé si loin à l'occident qu'immédiatement après lui est le lieu où le soleil se couche : il s'agit du monde romain, ou du moins de sa partie orientale ; c'est la première mention qui en est faite dans l'histoire chinoise.
Alors commence entre la Chine, la Perse et les royaumes situés entre les deux, un courant d'échanges diplomatiques et commerciaux.
Tantôt ces territoires aux frontières politiques changeantes étaient partagés entre plusieurs dizaines de petits royaumes, parfois indépendants, parfois satellites, protectorats ou vassaux d'une plus grande puissance ; tantôt ces royaumes étaient annexés et directement administrés par un grand empire ; ainsi la Chine administra le Gansu et le Xinjiang actuels, avec la ville de Dunhuang, et « les quatre garnisons » de Khotan (actuelle Hetian), Kashgar (Kashi), Koutcha (Kuche) et Karachar (Yanqi), dans ses périodes de grande puissance comme celles de la dynastie Han (206 av. J.-C. à 220 de notre ère), de la dynastie Tang (618-906), de la dynastie mongole des Yuan (1260-1368). Certains de ces royaumes centre-asiatiques, ou parties d'entre eux, furent englobés dans l'Empire koushan (environ fin du Ier siècle de notre ère – fin du IVe), dans les confédérations turques (Ve et VIe siècles), dans un bref Empire tibétain (VIIIe – IXe siècle), dans l'Empire mongol gengiskhanide au XIIIe siècle. Ceux-ci ou ceux-là furent satellisés ou soumis par la Perse, d'abord la dynastie arsacide des Parthes (vers 262 av. J.-C. à 226 de notre ère), puis la dynastie des Sassanides (226-651) puis le califat avec les Omeyades (651-750) et les Abassides (750-1258), au cours de l'histoire de l'Asie intérieure.
L’itinéraire caravanier
L'itinéraire des caravanes marchandes, avec leurs centaines ou milliers d'animaux de selle ou de bât – chevaux, ânes, mulets, chameaux, yaks – était déterminé par la géographie : les cols, les gués, les points d'eau, la pâture, et par les villes et bazars où l'on pouvait se ravitailler, remplacer les animaux morts ou épuisés, faire des opérations commerciales. Au rythme de vingt-cinq à trente kilomètres par jour, sans compter les arrêts, une charge de marchandises partie de Chine pouvait mettre un an et plus à atteindre la Perse.
Les produits d’échanges
La Chine exportait de la soie, d'une qualité telle et en telle quantité qu'elle n'avait pas de rivale au monde. Cette soie fut rapidement demandée partout de la Chine à la Perse et jusque dans l'Empire romain – Virgile la mentionne déjà – non seulement en tant que superbe tissu de luxe, mais aussi en tant que valeur sûre, comme une monnaie saine, échangeable partout, stockée, présent apprécié, valeur-marchandise et valeur-refuge. Avec la soie la Chine obtenait tout ce qu'elle voulait : à partir du IXe siècle, les chevaux furent échangés contre du thé. Gemmes et matières précieuses abondent dans les textes historiques et dans les légendes. Rubis et saphirs de Ceylan, diamants de l'Inde, lapis-lazuli du Badakhshan, jade de Khotan, perles de Ceylan, corail de la Méditerranée, ambre jaune, ivoire, et combien d'autres...... Voyagèrent aussi, d'ouest en est ou inversement, tissus de coton, de chanvre et de lin, fourrures, fer chinois réputé ; or, argent et cuivre, sous forme d'objets ou de monnaies ; verreries de couleur de Syrie et d'Alexandrie, matières industrielles – amiante, cinabre, borates, alun ; produits de teinture ; épices d'Asie – cannelle, poivre et autres ; substances aromatiques, médicinales et à usage religieux – encens, myrrhe, aloès, styrax, santal, ambre gris, musc, onycha ; médicaments comme la rhubarbe, le zedoar, la bile d'ours, la corne de cerf et de rhinocéros, l'os de tigre, le camphre, et la célèbre thériaque des médecins grecs. Des plantes et arbres utiles furent introduits et acclimatés fort loin de leur terroir : luzerne, vigne, sésame, noyer, pêcher, poirier, abricotier, dès les premiers siècles de l'ère chrétienne.
Les marchands
Grecs, Syriens, Sogdiens, Persans, Italiens, allant et venant d'un pays à l'autre ou installés en communautés dans une ville étrangère, y ont apporté leurs usages, leurs croyances. Ils ont parfois assuré des missions diplomatiques, prêté de l'argent à des princes. Certains ont écrit des mémoires dont se servent encore les historiens : l'auteur anonyme du Périple de la mer Erythrée, le Grec Cosmas Indikopleustes, le marchand arabe Sulayman, Marco Polo.
Samarcande devint un grand centre de production du papier ; cette technique mise au point en Chine passa ensuite à Bagdad et dans tout le monde musulman ; Damas fournit longtemps la chrétienté de charta damascena jusqu'à ce que la technique de fabrication passât, à l'époque des croisades, en France et en Italie. Le papier, fait de matières communes et bon marché, excellent support de l'écriture, propre à la xylographie et sans lequel on n'aurait pu mettre au point l'imprimerie, et par celle-ci la multiplication rapide et peu onéreuse du livre, est certainement l'invention la plus importante qui nous ait été transmise pour la diffusion et la conservation des connaissances.
L’on doit à une jeune princesse chinoise accordée en mariage au roi de Khotan, l'introduction dans ce pays de la sériciculture, sous la forme d'œufs de ver à soie, de graines de mûrier et de quelques suivantes expertes dans l'art d'élever le ver et de traiter les cocons – ceci vers l'an 420, en fraude, en cachant les œufs dans sa coiffure, en dépit de l'interdiction formelle du gouvernement impérial de faire sortir de Chine œufs ou secrets de fabrication. C'est ainsi que le secret millénaire fut capté et que la sériciculture se répandit en Asie centrale, d'où, en 553, des religieux persans rapportèrent, toujours en contrebande, des œufs de ver à soie à Byzance. Transmise sans doute un peu plus tôt en Perse, la sériciculture fut développée, sous le califat, dans tout le monde musulman, d'où elle passa au XIe siècle en Italie et seulement au XIVe siècle en France… comme les écrits d’Avicenne, grand penseur et médecin.